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Excès de bien-être au travail

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Le bonheur en entreprise : progrès ou arnaque ? Cet article a été initialement publié dans le n°21 de Socialter (février-mars 2017).

Le bonheur en entreprise : progrès ou arnaque ?

Est-ce à l'entreprise de faire le bonheur des salariés ? Alors que chief happiness officers (CHO), méditation et entreprises libérées sont en vogue, la question se pose : les politiques de bonheur au travail sont-elles un progrès ou un miroir aux alouettes ? « Bonheur en entreprise », « bien-être des salariés » : ces expressions reviennent en boucle depuis la diffusion, en 2014, d’un documentaire d’Arte intitulé Le Bonheur au travail, qui se penche notamment sur l’entreprise libérée et la nouvelle fonction de chief happiness officer (responsable du bonheur au travail) en tant qu’outils rendant les salariés plus épanouis.

S’agit-il d’une révolution ou d’une nouvelle étiquette, trop belle pour être vraie ? Le premier CHO, poste dédié au « bonheur au travail », est apparu aux États-Unis en 2000, chez Google. CHO et organisation 2.0 Une injonction au bonheur néfaste ? Gare à l’instrumentalisation (1) Cf. Le bien-être au travail, c’est l’arnaque du nouveau siècle. Le bien-être au travail?

Le bien-être au travail, c’est l’arnaque du nouveau siècle

C’est même l’arnaque du nouveau siècle! Les approches et les techniques du bien-être au travail risquent de produire l’effet inverse de ce qu’elles se proposent d’apporter. Depuis que nous parlons de bonheur au travail, la souffrance et le burn-out n’ont jamais été autant au rendez-vous. Pourquoi? Parce que les responsables des finances commandent, parce que les organisations sont traversées par des défibrillations d’organigrammes incessantes, parce que la gestion du changement est une réponse privilégiée face à des prévisions économiques incertaines. Dans les organisations, les métiers sont dévalorisés au profit d’une superposition de managers qui, eux seuls, auraient un vrai métier! Courant pseudo-humaniste très puissant Pour faire passer la pilule, les techniques de bien-être sont appelées à combattre le mal-être induit par l’absence de considération des personnes au travail.

De fait, ce courant pseudo-humaniste est très puissant. Sois bien, et tais-toi. Un beau matin, Carl Cederström allume tranquillement sa cigarette en attendant le bus.

Sois bien, et tais-toi

Assise sur un banc voisin, son petit chien tenu en laisse, une dame l’apostrophe en lui reprochant d’intoxiquer son animal de compagnie avec sa fumée. Pour le chercheur suédois, enseignant à la Stockholm Business School et spécialisé dans l’étude du contrôle social et de la souffrance au travail, c’en est trop. Ses voisins sont antitabac, ses amis désertent l’heure de l’apéro pour aller au fitness et ses collègues mangent sans gluten tout en méditant… Au secours! Avec son confrère André Spicer, professeur à la prestigieuse Cass Business School, à Londres, il s’interroge alors sur ce qu’il estime être un «culte du bien-être» (wellness). Le résultat de leur réflexion, paru l’année dernière en anglais, vient de sortir en français aux Editions L’échappée, au sein de la collection «Pour en finir avec», qui «développe des analyses radicales», comme la définit l’éditeur.

Injonction morale Merci patron. Les effets destructeurs du management à la cool. Pour comprendre la souffrance qui infuse dans les open spaces fleuris d’aujourd’hui, alors que jamais on ne s’est tant soucié de bien-être au travail, le nouveau livre de Danièle Linhart, « la Comédie humaine au travail» (sous-titré : «De la déshumanisation taylorienne à la sur-humanisation managériale»), est d’un recours précieux.

Les effets destructeurs du management à la cool

Voilà une chercheuse du CNRS qui depuis trente ans observe les mutations sociales au travail. Pour mieux comprendre ses lois non écrites, ses faux semblants, elle se faufile dans les congrès de managers, avec le risque de s’y faire insulter. (C’est arrivé, nous le verrons plus loin.) La sociologie comme sport de combat est diversement appréciée. Danièle Linhart pourrait comme bien d’autres, sociologues ou journalistes qui font profession de décrire le réel, se retrancher derrière une prudente impartialité.

Notre siècle croit dépassée l’image d’un Chaplin à califourchon sur la machine, aux heures féroces du taylorisme ? La contradiction est flagrante. L'entreprise-providence et la maladie du bonheur. Passion. Bienveillance professionnelle. Obsession du bien-être.

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