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Définition "Texte résistant"

06 janvier 2013

Définition "Texte résistant"

Voici un extrait de "Littérature de jeunesse ou nouvelle jeunesse pour la littérature et son enseignement ?"

Catherine TAUVERON, Institut national de la recherche pédagogique

Les compétences de lecture

Pour toutes ces raisons, j'aurais donc souhaité que, dans l'entreprise nécessaire de sélection des livres, (nécessaire pour guider les enseignants dans une production pléthorique et labile), la "logique des bibliothécaires" se soit accompagnée d'une "logique des professeurs". Cette logique-là est gouvernée par le souci de développer des compétences de lecture. Elle repose sur l'idée que la lecture littéraire étant une activité de résolution (ouverte) de problèmes (ouverts) posés par le texte au lecteur, ou par le lecteur au texte, il convient de repérer d'abord finement et méthodiquement les obstacles rencontrés par les élèves, puis de mettre les élèves en situation de résoudre le ou les problèmes identifiés sur des textes qui le (ou les) renferment. L'entraînement au franchissement d'obstacles ne peut s'opérer que sur un terrain semé d'embûches concertées, ce que j'ai appelé (5) des " textes résistants".

Parmi ces textes "résistants", j'ai distingué deux catégories : les textes "réticents" et les textes "proliférants".

Les textes "réticents" posent délibérément des problèmes de compréhension au lecteur. Parmi les effets de réticence programmés, on peut citer : les blancs de toute nature, singulièrement ceux relatifs aux intentions des personnages et à certains de leurs actes cruciaux, les analepses, l'intrication de récits, l'adoption de points de vue insolites, biaisés, non-identifiables, pluriels et contradictoires, la rupture volontaire de la lisibilité des chaînes anaphoriques, la perturbation des valeurs, la création d'un monde fictif à la logique inédite, ou aux logiques contradictoires, l'éloignement des canons du genre, la pratique de l'intertextualité, la contradiction du texte et des images dans les albums, la mise en scène d'auteurs fictifs et la substitution de la métanarration à la narration attendue.).

Les textes "proliférants", quant à eux, à l'inverse des précédents (mais ce peut-être les mêmes), disent, en quelque sorte, plus qu'ils ne devraient dire et posent des problèmes d'interprétation. Ce sont des textes polysémiques, susceptibles d'une lecture plurielle aboutissant à des compréhensions différentes ou, parce que fortement symboliques, présentant plusieurs niveaux d'interprétation possibles. La littérature de jeunesse, qui ne se contente pas d'explorer des techniques d'écriture sophistiquées, sait aussi conduire les jeunes enfants sur la voie de la réflexion métaphysique. Un seul exemple, là encore, Le mur, d'Angel Esteban, fable parabolique ou conte philosophique, dont l'intrigue linéaire épurée est d'une parfaite limpidité (" Il", personnage jamais défini, placé dans un espace géographique et temporel lui-même non défini, éprouve un jour le besoin de voir ce qu'occulte le mur, sans limite, qu'il aperçoit du village paisible où il habite ; pour y parvenir, il passe sa vie à faire pousser un arbre sur lequel il compte monter ; le récit se termine sur cette phrase : On ignore ce qu'il découvrit. Le mur était en quelque sorte détruit par lui. Des années de labeur, d'amour et de persévérance prodigués à l'arbre lui valaient la récompense suprême : la liberté") mais dont l'interprétation symbolique (au-delà du mur, au-delà de l'apparence ? au-delà de la vie ? ) est ouverte à la pluralité des interprétations. La logique, on le voit, donne des critères de choix, assortis d'indicateurs précis, qui sont des critères didactiques. Ces critères didactiques, s'ils avaient été mobilisés, auraient conduits à des regroupements qui ne reposent pas seulement sur le contenu de l'intrigue.