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Nous ne revendiquons rien, par Frédéric Lordon (Les blogs du Diplo, 29 mars 2016)

Nous ne revendiquons rien, par Frédéric Lordon (Les blogs du Diplo, 29 mars 2016)
Au point où nous en sommes, il faut être épais pour ne pas voir qu’il en va dans les mouvements sociaux actuels de bien plus qu’une loi et ses barèmes d’indemnités. Mais l’épaisseur, en tout cas en ce sens, c’est bien ce qui manque le moins à ceux qui nous gouvernent et à leurs commentateurs embarqués. Aussi tout ce petit monde continue-t-il de s’agiter comme un théâtre d’ombres, et à jouer une comédie chaque jour plus absurde, les uns affairés à peser au trébuchet leurs concessions cosmétiques, les autres leurs gains dérisoires, les troisièmes à faire l’éloge du raisonnable ou à préparer gravement « la primaire ». Lire aussi Sophie Béroud, « Imposture de la démocratie d’entreprise », Le Monde diplomatique, avril 2016. Il se pourrait en effet que tout ce qui se passe en ce moment se joue précisément autour de la connexion, puissamment mise en évidence par Bruno Le Roux, du contrat salarial et de la prison. Et pas seulement celle-là. Related:  PolitiquePolitique

EuropaCity : la prouesse inavouable C’est un silence aussi assourdissant que bizarre. L’enquête publique sur « le plus important projet d’aménagement culturel et commercial en Europe » a été lancée en France la semaine dernière, mais personne ne le revendique. EuropaCity. Une ville artificielle au nord de Paris. « Un formidable pari sur l’avenir. » Qui en parle, en ces temps de morosité ? Cette promesse de record s’énonce dans la discrétion. Et les élus (de droite comme de gauche) qui y ont cédé ne sont pas fiers. Pour présenter ce petit Dubaï qui doit éclore sur les dernières terres agricoles du Val-d’Oise, ses concepteurs alignent les « équipements ». Désir jugé assez irrésistible pour justifier l’absence d’études approfondies sur la future clientèle. « Le projet doit être engagé sans attendre, même imparfait. Il suffit d’entendre le pathétique service après vente du préfet de région pour mesurer la chute de ces grands commis de l’Etat qui naguère « aménageaient le territoire ». et

Et puis un jour, on n’arrivera plus à se contenir Les propos de la ministre des familles, de l’enfance et des droits de femmes sur RMC mercredi 30 mars, ne pourraient être qu’un « mécontentement » de plus, mais ne pas réagir c’est mourir. Nous sommes devenus des réactions. Nous nous agaçons à l’infini. Si on réagit, au rythme où s’enchaînent les horreurs, on prend le risque de ne plus être écouté. Certes, Twitter se soulève : les tweets pleuvent, une pétition compte déjà plus de 30 000 signatures pour demander « la démission de Laurence Rossignol ». Peut être a-t-on déjà trop réagi avant, pour qu’on nous écoute aujourd’hui. Dans ces moments là, se surprendre soi-même de la rage qui vit en soi, qui se déploie comme un feu de camp maladroit, paré pour tout brûler sans pitié. Le visage de Laurence Rossignol quand elle dit « nègre », sa façon de dire ce mot comme une évidence. Quand on a dit ça, on a presque rien dit du cas Rossignol. Mehdi Meklat et Badroudine Said Abdallah

RADIO #NuitDebout Le «carré sémiotique» des discours politiques Pour susciter l’adhésion de leur auditoire, les hommes politiques (femmes comprises) doivent se positionner par rapport à des valeurs partagées. La méthode du « carré sémiotique » permet d’en comprendre les logiques cachées. Décryptage… Il existe différentes méthodes pour analyser les discours politiques. C’est un schéma de cet ordre que nous avons mobilisé pour dégager les grands principes différenciateurs des discours de la campagne présidentielle de 2007 (1). L’illusion de l’intimité Pour établir les positionnements des candidats, nous avons commencé par identifier les grandes catégories de valeurs qui, en amont, travaillent leurs discours. L’analyse positionnelle des discours s’effectue dès lors en deux temps : tout d’abord en fonction de l’accent mis sur telle valeur (ancrage) ; ensuite à partir des relations qui s’établissent entre elles (parcours). Prenons ici un premier exemple, celui de S. Son discours s’ancre résolument dans le vécu partagé. La politique comme fiction

Bertrand Badie: «L’Occident doit compter avec un monde qui n’est plus exclusivement le sien» Entre terrorisme, guerres et nouvelles recompositions territoriales, comment expliquer la nouvelle marche du monde, qui suscite interrogations et angoisses ? Une question à laquelle Bertrand Badie (photo Pauline Le Goff) n’a pas renoncé à répondre. Loin d’être nostalgique d’une représentation bipolaire issue de la guerre froide, ce professeur à Sciences-Po, spécialiste des relations internationales, décrit l’émergence de nouveaux acteurs globaux. Après un ouvrage sur l’humiliation comme moteur des relations internationales, il en vérifie aujourd’hui les effets dans son dernier livre, Nous ne sommes plus seuls au monde. Et esquisse les voies d’un ordre mondial injuste. Que signifie ce titre, «Nous ne sommes plus seuls au monde»? C’est à la fois une façon de souligner l’apparition des Etats qui ne comptaient pas auparavant, mais aussi de prendre en considération l’émergence des sociétés civiles dans l’ordre international. Les Européens ont dominé le monde grâce à leurs empires coloniaux…

Pour un savoir engagé, par Pierre Bourdieu (Le Monde diplomatique, février 2002) Intellectuel et militant Depuis les grèves de novembre et décembre 1995 en France, les interventions de Pierre Bourdieu ont été l’objet de critiques, souvent violentes, notamment de la part des journalistes et des intellectuels médiatiques dont il avait analysé le rôle social. Ce qui semble les avoir choqués avant tout, c’est qu’un « savant » intervienne aussi activement dans le domaine « politique ». L’implication du sociologue dans l’espace public remonte néanmoins au début des années 1960, à propos de la guerre d’Algérie. S’il est aujourd’hui important, sinon nécessaire, qu’un certain nombre de chercheurs indépendants s’associent au mouvement social, c’est que nous sommes confrontés à une politique de mondialisation. Autrement dit, il faut faire sauter un certain nombre d’oppositions qui sont dans nos têtes et qui sont des manières d’autoriser des démissions : à commencer par celle du savant qui se replie dans sa tour d’ivoire. Pourquoi peut-on être optimiste ?

Des sciences sociales sous surveillance. Récit d’une enquête sociologique interrompue par un juge d’instruction | AFS Lorsque l’on met en exergue les difficultés rencontrées par les chercheurs en sciences sociales face à la judiciarisation des rapports sociaux, il est souvent objecté que les cas posant problème sont finalement peu nombreux et peu représentatifs. C’était déjà systématiquement le cas il y a six ans dans les affaires recensées dans l’ouvrage Enquêter : de quel droit ? (2010). De ce que j’en ai compris, alors que tu étais en train de rédiger ta thèse sur la violence nationaliste corse tu as vu tes enregistrements d’entretiens saisis par la justice ? En fait, c’était en mars 2002, le jour où mon épouse passait le CAPES, j’étais dans la dernière année de ma thèse, placée sous la direction du professeur Daniel-Louis Seiler. Si mon travail intéressait le juge anti-terroriste (et la DNAT), c’est parce que je tentais de finir un terrain durant la période la plus trouble et la plus violente de l’histoire de la revendication du nationalisme corse. Propos recueillis par Sylvain Laurens

Occuper Wall Street, un mouvement tombé amoureux de lui-même, par Thomas Frank (Le Monde diplomatique, janvier 2013) Une scène me revient en mémoire à chaque fois que je tente de retrouver l’effet grisant que le mouvement Occuper Wall Street (OWS) a produit sur moi au temps où il semblait promis à un grand avenir. Je me trouvais dans le métro de Washington, en train de lire un article sur les protestataires rassemblés à Zuccotti Park, au cœur de Manhattan. C’était trois ans après la remise à flot de Wall Street ; deux ans après que toutes mes fréquentations eurent abandonné l’espoir de voir le président Barack Obama faire preuve d’audace ; deux mois après que les amis républicains des banquiers eurent conduit le pays au bord du défaut de paiement en engageant un bras de fer budgétaire avec la Maison Blanche. Comme tout le monde, j’en avais assez. Près de moi se tenait un voyageur parfaitement habillé, certainement un cadre supérieur revenant de quelque salon commercial, à en juger par le slogan folâtre imprimé sur le sac qu’il portait en bandoulière. La grande épopée fut pourtant de courte durée.

Ce que nous apprend la vidéo de la voiture de flics défoncée par des manifestants | VICE | France Screenshot de la fameuse vidéo polémique. De la manifestation « contre la haine anti-flics » organisée hier mercredi 18 mai à l'initiative du syndicat policier de droite Alliance, une seule image restera : celle d'une voiture de police incendiée en marge du rassemblement par de jeunes contre-manifestants. L'incident, survenu dans le cadre de la mobilisation française contre la loi Travail, n'en est qu'un parmi de nombreux autres. Depuis le début du mouvement, rares sont en effet les manifestations qui n'ont pas tourné à l'affrontement avec la police ; plusieurs commissariats ont été attaqués, notamment à Paris et Rennes. Suite à cet événement, on s'est demandé si cerner des flics et foutre le feu à leur caisse était si consternant que les discours le disent ou si, au contraire, la colère de ces jeunes gens surdiplômés et sans thunes était tout à fait compréhensible. Une voiture de police crame en marge de la manifestation contre la « haine anti-flics ».

« Droite/Gauche », par André Comte-Sponville • Les idées, André Comte-Sponville, Droite, Gauche, Politique Enfant, j’avais demandé à mon père ce que cela signifiait, dans la vie politique, qu’être de droite ou de gauche. « Être de droite, me répondit-il, c’est vouloir la grandeur de la France. Être de gauche, c’est vouloir le bonheur des Français. » Je ne sais si la formule était de lui. Il n’aimait pas les Français, ni les humains en général. Il me répétait toujours qu’on n’est pas sur Terre pour être heureux. La définition, dans sa bouche, était de droite. Le temps a passé : mes enfants m’ont interrogé à leur tour… Je répondis comme je pus, autour de quelques différences qui me paraissaient essentielles. La première différence est sociologique. La deuxième différence est plutôt historique. La troisième différence est proprement politique. Quatrième différence : une différence économique. On remarquera que la droite, sur ces questions économiques et dans la dernière période, l’a clairement emporté, au moins intellectuellement.

Un splendide isolement « De toutes les manifestations du pouvoir, celle qui impressionne le plus les hommes, c’est la retenue ». Thucydide Quelques jours après la tenue d’une manifestation à Paris contre la « haine anti-flics » appelée par diverses organisations syndicales de police, il nous a semblé que le décalage comparatif pourrait éclairer la compréhension de ce que l’on appelle en France le « maintien de l’ordre », c’est-à-dire la gestion des foules (protestataires, sportives ou festives) par les forces de police et de gendarmerie [1]. La désescalade à l’allemande Qu’en est-il ailleurs de la violence contestataire et de l’hostilité aux policiers ? Manifestation du PKK en 2008 à Berlin En gilets jaunes et verts, les policiers chargés de la communication. Comme on le voit, les polices allemandes ne chôment pas. Cette maîtrise de la force, nous l’avons suggéré, est le produit d’une quinzaine d’années de politique dite de « désescalade » (Deeskalation) [3]. Un nouveau modèle européen de maintien de l’ordre

Contester sans modération, par Pierre Rimbert (Le Monde diplomatique, mai 2016) Demander peu et attendre beaucoup : dix-huit ans après la création de l’association Action pour une taxe Tobin d’aide aux citoyens (Attac), en juin 1998, le prélèvement de 0,01 % à 0,1 % sur les transactions financières inspiré par l’économiste James Tobin pour « jeter du sable dans les rouages » des marchés tarde à voir le jour (lire « En attendant la taxe Tobin »). La forme édulcorée que négocient sans enthousiasme les cénacles européens rapporterait une fraction du montant (plus de 100 milliards d’euros) initialement escompté. Mais, au fait, pourquoi avoir placé la barre si bas ? Pourquoi avoir tant bataillé pour l’introduction d’une si légère friction dans la mécanique spéculative ? Cette prudence revendicative reflète l’état d’esprit d’une époque où le crédit d’une organisation militante auprès d’un public urbain et cultivé se mesurait à sa modération. Définir ce que l’on désire vraiment Assiste-t-on à l’achèvement de ce cycle ? Espoirs de convergence

L'autoritarisme rampant à la française Partira, partira pas? En mouvement ou statique? Jusqu’à la dernière minute, la passe d’armes entre le gouvernement et les syndicats autour de la manifestation du 23 juin a ressemblé à un effarant dialogue. Depuis les débordements lors de rassemblements contre la loi travail, notamment autour de l’hôpital Necker dans le XVe arrondissement, le 14 juin dernier, l’opposition était forte entre les représentants syndicaux et l’exécutif. Jusqu’au dernier moment, le gouvernement brandissait la menace d’une interdiction dénonçant la violence réelle ou fantasmée des «casseurs», menace à laquelle se refusait obstinément les opposants à la loi travail. Necker, le 14 juin 2016 I DOMINIQUE FAGET/AFP Dans la matinée du 22 juin, l’annonce de l’interdiction de la manifestation syndicale par la préfecture de police vers 9 heures a donc logiquement provoqué une levée de boucliers, notamment à gauche jusqu’au sein de la majorité socialiste. Une tentation autoritaire? Frédéric Sicard, en mars 2016 Éric Fassin

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