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Préservez la nature en lui donnant un prix ? PAr J. Gadrey

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Préserver la nature en lui donnant un prix ? (4/4) : les dérives marchandes. Nous vivons dans des sociétés et dans un monde où les pouvoirs économiques dominants restent ceux de la finance globalisée et des firmes multinationales. Tout ce que nous pouvons préconiser doit en tenir compte. En monétarisant, nous entrons dans leur domaine et nous ouvrons même la possibilité d’une financiarisation de la nature. Leur stratégie actuelle vise à inventer des marchés pour des fonctions techniques remplies gratuitement par la nature ou « services écosystémiques ». Ces inventions sont d’une effroyable complexité technique. Tout concourt à ce que cela nous échappe. La nature rend bien des « services » sans qu’on s’en rende toujours compte… tant que cette « production » n’est pas menacée ou tant qu’elle est gratuite.

Comment faire ? Prenons un exemple, celui des « mécanismes de développement propres » (MDP). Mais cette invention ne s’arrête pas là. On pourrait objecter : qu’importe, si les émissions mondiales baissent par ce biais. Mais ce n’est pas tout. Préserver la nature en lui donnant un prix ? (3/4) : des possibilités. Beaucoup de défenseurs de l’environnement exigent qu’on mette des prix, des coûts, ou des tarifs monétaires conventionnels dont des taxes (trois pistes très différentes), non pas sur la nature en général, mais sur des bouts de nature, des fonctions remplies par la nature, des usages excessifs de la nature, etc. Ils y voient à juste titre une possibilité de modifier les comportements et les décisions (de production, de consommation) pour inciter à « produire et consommer vert » et décourager les productions et les consommations les plus polluantes en les taxant d’une façon ou d’une autre, ou via des « bonus/malus » (qui se sont révélés efficaces), etc.

Pour ces écologistes, la nature n’a ni valeur économique ni prix, pas plus que la vie humaine ou bien d’autres choses « d’une grande valeur », par exemple la démocratie. On peut distinguer deux familles de cas, bien qu’il existe des cas mixtes : 1. Observons quand même que ces mesures ont des conséquences économiques. 2. Préserver la nature en lui donnant un prix ? (2/4) : monétariser ce qui est gratuit ? La question de la monétarisation se complique avec les « services gratuits » (à une époque et dans une société données) de la nature.. Pour tout ce qui suit, j’ai bénéficié de remarques et réactions de plusieurs personnes, que je remercie sincèrement : Florence Jany-Catrice, Dominique Méda, Fabrice Flipo, Eloi Laurent et Jacques Weber. Il existe entre elles, et avec moi, des nuances parfois sensibles.

J’assume évidemment seul le résultat des tiraillements auxquels ces échanges passionnants m’ont soumis. Reprenons l’exemple de notre forêt. Au-delà des usages déjà cités, elle remplit d’innombrables fonctions appréciables, mais sans prix (en tout cas jusqu’au moment où des droits de propriété sont inventés et mis en place, créant ainsi de la rareté puis des marchés). Pourquoi vouloir associer des valeurs monétaires à de telles « fonctions », ou usages ? Cette critique est fondée, mais à condition d’évacuer un possible contresens. Revenons aux services environnementaux gratuits des forêts. Préserver la nature en lui donnant un prix ? Je ne rejette pas par principe (voir mon billet sur les chauves-souris) des valorisations monétaires « politiques » ciblées et contrôlées de certains dommages écologiques ou de certains « services de la nature » si l’on est clair sur le fait que cela n’a rien à voir avec une « valeur économique intrinsèque de la nature » et encore moins avec un prix de marché.

Et si l’on explicite les réductions de champ, souvent énormes, que ces calculs supposent dans tous les cas. La question est quand même de savoir ce qui peut rester de solide si l’on prend toutes ces précautions… Pas grand-chose me semble-t-il. C’est en tout cas un sujet qui va devoir être traité dans le cadre de la préparation du sommet de Rio+20. Je vais partir d’un exemple qui est, à première vue, le plus solide de ceux que je connais, et qui fait même partie des « success stories » de l’évaluation monétaire des services de la nature.

L’affaire semble entendue et l’argument économique imparable.